J’avais tellement de choses à te dire sur les soirées sans alcool que j’ai décidé d’en faire cinq parties. Si tu veux arrêter ou si tu as arrêté l'alcool et si tu aimes faire des soirées alors cette série d'articles est faite pour toi ! Dans ces cinq parties, je vais t'expliquer les actions à mettre en place et les questions à te poser avant, pendant et après la soirée !
Dans ce premier article je vais te parler de l’origine du craving. Cet article est très important ! C’est la base pour bien comprendre ce qu’il se joue en toi quand tu as soudain envie de boire. En sachant cela tu vas pouvoir prendre les mesures nécessaires.
- C’est quoi le craving ?
- L'origine du craving
- Des premières expériences positives
- Enregistrement en mémoire
- Rôles de la dopamine dans le craving
- Situation associée
- Action
- Récompense
- 4 phénomènes te font entrer dans l'addiction
- 1# Sensibilisation motivationnelle
- 2# Allostasie hédonique
- 3# Apprentissages aberrants et automatismes
- 4# Déficit du contrôle inhibiteur
- Une modification de ton cerveau
- Quel est le rapport avec les soirées ?
C’est quoi le craving ?
En français le craving pourrait être traduit par « crever d’envie » C’est quand tu as soudain une envie irrépressible d'alcool. Irrépressible, ça veut dire qu’on ne peut réprimer, qu’on ne peut contenir. Tu as terriblement envie et besoin de boire. Et cela malgré le fait que tu ne veuilles pas boire à la base !
C’est caractéristique de la dépendance. C’est la perte de contrôle.
En général on se rend compte que le craving existe quand on est dépendant et qu’on essaye pour la première fois de s’abstenir de boire de l’alcool. C’est très particulier comme sensation. Il faut vraiment la vivre pour comprendre.
Elle est vécue comme une espèce d’impulsion, de force extrême qui te pousse à consommer. Tout se brouille dans ta tête, tu n’arrives plus à réfléchir, tes pensées sont accaparées par l’alcool, tu ne penses plus à ce que tu dois faire ou ne pas faire, tu ne penses plus aux conséquences négatives. Il faut boire un point c’est tout. C’est très difficile de se contrôler.
L'origine du craving
Ce craving ne vient pas de nulle part, tout se joue dans ton cerveau. C’est vraiment important que tu prennes conscience de ça.
Des premières expériences positives
Quand tu as expérimenté l’alcool pour la première fois : ce dernier t’a apporté quelque chose de positif : un bénéfice, une récompense. De la désinhibition alors que tu étais timide, de l'euphorie alors que tu étais déprimé, de la détente alors que tu étais stressé etc.
Au moment où tu as atteint ta récompense, ton cerveau a sécrété de l’endorphine, le neurotransmetteur du plaisir et de la dopamine, le neurotransmetteur du désir. Tu as alors eu une sensation de plaisir, de satisfaction.
Ces deux neurotransmetteurs font partie du circuit de la récompense.
Je t'ai parlé de ce circuit dans mon article Les effets de l’alcool sur le cerveau Partie 1
Dans cet article je t’ai expliqué les bases neurobiologiques nécessaires pour bien comprendre, ce qu’est un neurotransmetteur, la dopamine etc. Tu peux aller voir si tu veux plus de détails. Je vais quand même te faire un bref rappel de ce qu’est le circuit de la récompense.
En gros à la base ce circuit est présent pour nous attirer vers des comportements nécessaires à notre survie : manger ou se reproduire par exemple. Pour s’assurer qu’on répète ces comportements, notre cerveau libère une sensation de plaisir et de satisfaction lorsqu’on les réalise. C’est très bien fait ! Si tu as du plaisir quand tu fais quelque chose, tu as envie de recommencer à faire cette chose.
Enregistrement en mémoire
Mais pour recommencer le comportement qui nous procure du plaisir il faut l’enregistrer en mémoire. C’est un des rôles de la dopamine. La dopamine est libérée en même temps que l’endorphine car elle permet de mémoriser, d’enregistrer le comportement dans ta mémoire afin de le ressortir plus tard.
- Elle code la valeur de l’expérience positive : plus le comportement t’a apporté du plaisir, plus la libération de dopamine est élevée et plus le comportement est mémorisé.
- Et elle code précisément la situation, le contexte dans lequel tu as réalisé le comportement positif. Le lieu, les personnes présentes, les émotions ressenties, les pensées associées, l’heure, la musique etc. ça c’est très important que tu le retiennes.
Ta mémoire associe donc le comportement « boire de l’alcool » à une situation précise. Dans le but de répéter le comportement si la situation se représente.
La dopamine est un signal d’apprentissage : tu apprends que dans telle situation, tel comportement ou action, t’apporte du plaisir, t’apporte une récompense. La prochaine fois que tu seras dans une situation associée par exemple le dimanche midi au repas de famille, tu vas réaliser une action, le comportement « boire de l’alcool » pour obtenir ta récompense : du plaisir, de la convivialité.
Rôles de la dopamine dans le craving
Reprenons l'expérience vécue depuis le début. Tu n’as pas encore réalisé l’action, tu n’as pas encore obtenu la récompense. Tu viens d’arriver dans la situation.
Situation associée
A ce moment-là, la dopamine joue encore un rôle. Son rôle est de motiver l’action.
En fait pour te motiver à réaliser l’action spécifique qui amène à la récompense ton cerveau va libérer de la dopamine avant que tu réalises l’action ! C’est pour cela qu’on appelle la dopamine le neurotransmetteur du désir. Elle anticipe le plaisir grâce à ce qu’elle a enregistré précédemment dans ta mémoire ! Tu vas ressentir du désir à ce moment-là. Elle te fait saliver en fait !
Action
La dopamine à encore un autre rôle qui cette fois concerne l’action. Elle favorise cette dernière !
Elle intervient dans la décision de mettre en route un acte, dans la sélection des schémas moteurs utiles à la réalisation de l’acte et dans l’exécution de l’acte qui doit mener à l’obtention du plaisir recherché.
Mais ce n’est pas elle qui a le dernier mot ! Celui qui a le dernier mot fait aussi partie de ton circuit de la récompense, c’est ton cortex préfrontal. Ça c’est très important que tu le retiennes. Il est le siège de la raison. C’est lui qui décide s’il faut faire ou non quelque chose. S’il faut agir ou différer l’action. C’est le contrôle inhibiteur de ton cerveau, il te ralentit, t’aide à prendre de bonnes décisions.
Récompense
Revenons à notre expérience. Une fois la récompense obtenue, le plaisir que tu ressens quand tu as la récompense provient surtout des endorphines mais la dopamine continue à se libérer pour enregistrer à nouveau l’expérience en mémoire.
Ce circuit permet ainsi de renforcer le comportement dans telle ou telle situation. C’est du conditionnement. Si tu décides de conditionner, d’apprendre à ton chien à donner la patte, tu vas lui donner une récompense à chaque fois. Là c’est la même chose. Tu t'autoconditionnes en répétant l’expérience positive encore et encore. Donc le comportement « boire de l’alcool » dans telle ou telle situation est un comportement appris !
4 phénomènes te font entrer dans l'addiction
OK jusque-là tu n’es pas encore addict, pas encore dépendant. Tu peux avoir une consommation modérée ou un usage abusif de l’alcool.
Si tu deviens addict c’est parce qu’à force de répéter le comportement « boire de l’alcool » il va se passer plusieurs choses dans ton cerveau. La structure de ton cerveau se modifie. Il y a quatre grands phénomènes qui se produisent à différents endroits de ton cerveau. Ce sont ces quatre phénomènes qui sont responsables de ta dépendance. Il n’y a pas d’ordre d’apparition. Ils apparaissent simultanément, petit à petit, à force de consommer. Tu entres petit à petit sans t’en rendre compte dans l’addiction.
1# Sensibilisation motivationnelle
Un premier phénomène que tu développes est ce qu’on appelle une sensibilisation motivationnelle à l’alcool.
Tout à l’heure je t’ai dit que la dopamine code la valeur de l’expérience positive. Plus celle-ci est élevée, plus l’expérience est mémorisée et renforcée. Dans le cas de la consommation d'alcool, elle est plus que mémorisée ! L’alcool multiplie la libération de dopamine par 200 Cette libération est plus intense et prolongée que les récompenses naturelles telles que manger, dormir, se reproduire !
A force de répéter la consommation, l’expérience est codée comme étant extrêmement utile, positive et indispensable ! Et donc à répéter absolument ! Dans une situation associée ton cerveau va se souvenir de tes précédentes expériences et va donc libérer beaucoup de dopamine ! La sensation de plaisir libérée avant de réaliser le comportement de boire de l’alcool est beaucoup plus intense que lorsque tu auras bu ton premier verre.
Tu as une très forte motivation, un très fort désir de boire de l’alcool. Tous tes autres besoins et motivations vont devenir secondaires : manger, boire, voir ta famille, tes amis, réaliser d’autres activités, des activités hors alcool, etc.
2# Allostasie hédonique
Parallèlement un second phénomène se développe, ce qu’on appelle l’allostasie hédonique. L’allostasie signifie nouvel équilibre et hédonique signifie recherche du plaisir. A force de consommer, il y a une stimulation chronique de tes neurones dopaminergiques. Ton cerveau va donc réaliser des neuro-adaptations pour contrer la stimulation. Il a créé un nouvel équilibre prenant en compte ces stimulations, prenant en compte ta consommation d’alcool. Ton système est régulé à la baisse, tu atteins un état d’équilibre plus bas. Quand tu ne bois pas d’alcool, quand tu es en sevrage, ton taux de dopamine est plus bas que lorsque tu as bu un verre d’alcool pour la première fois.
Cela génère un mal-être, une humeur entre tristesse et excitation lorsque tu ne bois pas d’alcool. Tu es dans un état émotionnel négatif. Cela est dû également à d’autres neurotransmetteurs : le GABA et le GLUTAMATE qui eux aussi sont régulés à la baisse.
Je t’ai parlé en détail de ces deux neurotransmetteurs dans mes articles : Les effets de l’alcool sur le cerveau partie 1 et partie 2 si cela t’intéresse.
Donc quand tu n’as pas d’alcool tu es en manque. Tu as besoin de ton shot de dopamine pour aller bien. Et même en buvant de l’alcool tu as besoin de plus en plus de dopamine pour te sentir bien donc tu bois de plus en plus. Donc tu ne consommes plus pour avoir une récompense, tu consommes pour soulager les effets désagréables du sevrage. Il n’y a plus de plaisir dans ta consommation. Tu ne bois plus par plaisir mais par besoin.
3# Apprentissages aberrants et automatismes
Parallèlement toujours, un troisième phénomène se produit : des apprentissages aberrants et des automatismes se créent.
L’association situation comportement boire de l’alcool créée par la dopamine est renforcée ! A force de répétition la simple présence d’un élément isolé appartenant à une situation connue du système de mémoire suffit à déclencher l’activation de la dopamine. Donc suffit à te faire boire. Tu es peu à peu devenu hypersensible aux indices contextuels isolés. Et en plus de ça, comme je te l’ai dit plus haut, tu ne bois plus par plaisir. Tu bois parce que tu as appris qu’il faut boire dans cette situation. Il n’y a donc plus de récompense. Je te donne un exemple pour que tu comprennes bien.
Imagine. Avant d’être addict. Tu buvais parce que boire t’apportait une récompense. Tu allais dans un bar avec tes amis, tous les vendredis soir à 19h. Vous buviez car vous étiez dans un bar. Si tu y allais c’est parce que c’était convivial, l’alcool favorisait la convivialité. C’était ta récompense. Aujourd’hui tu es addict. Tu as une hypersensibilité aux indices contextuels isolés et aux situations associées. Tu passes devant ce bar. C’est un indice contextuel isolé. Cela va te déclencher l’envie de boire et le comportement boire de l’alcool et ce, alors que tes amis ne sont pas là, on est pas vendredi soir et qu’il n’est pas 19h. Il n’y a plus de récompense, il n’y a plus de convivialité. Il y a juste ton désir de boire déclenché par l’indice contextuel : le bar.
En fait l’expérience, donc comportement « boire de l’alcool » est passée dans les automatismes. C’est-à-dire dans les comportements que tu fais sans réfléchir. Concrètement ce sont des chemins neuronaux. A chaque fois que l’expérience est répétée, le chemin se creuse encore plus.
Tout comportement que tu réalises et qui est répété plusieurs fois passe à un moment donné dans les automatismes. Par exemple marcher. Tu le fais inconsciemment. Tu ne réfléchis pas à quel pied tu mets devant l’autre. A force d’avoir répété le comportement marcher, celui-ci est devenu automatique. Le but de ton cerveau est de créer des automatismes pour économiser de l’énergie ! Sinon la moindre action prendrait un temps fou à réaliser. Imagine si tu devais réfléchir à chaque fois que tu devais mettre un pied devant l'autre, ce serait prise de tête. Donc les automatismes sont essentiels et tu ne les remets pas en question. Par contre tu peux facilement sortir de ton automatisme, revenir à ta conscience si nécessaire : par exemple s’il y a un obstacle sur la route, tu vas enjamber et non continuer à marcher.
Mais il y a des moments ou les automatismes nous desservent. C'est le cas pour la consommation d'alcool. Ton cerveau a créé un chemin de neurones exprès pour ce comportement. Plus tu as répété l’expérience « boire de l’alcool » plus ce chemin est profond. La situation ou l’indice contextuel agit comme un déclencheur. Déclencheur est égal à boire de l’alcool. C’est devenu un réflexe. Ton comportement n’est plus motivé par un but.
4# Déficit du contrôle inhibiteur
Le quatrième et dernier phénomène dont je voulais te parler est le fait que tu as un déficit du contrôle inhibiteur.
Une personne non addict peut facilement sortir de son automatisme et revenir à la conscience, il lui suffit de faire appel à son cortex préfrontal qui est le siège de la raison et qui inhibe les comportements néfastes : c’est mon deuxième verre j’arrête, sinon c’est néfaste pour ma santé par exemple.
Si tu es addict tu ne pourras pas faire ça. Car tu as un déficit de ton contrôle inhibiteur, ton cortex préfrontal est déconnecté. Ce dernier est endommagé à cause de ta consommation d’alcool chronique. Ou alors il n’est pas encore assez fort par rapport aux drogues. C’est ton cas si tu as moins de 25 ans, il n’a pas encore fini de se former.
Je t’ai parlé des dégâts de l’alcoolisme et du binge drinking sur le cortex préfrontal dans mon article Les effets de l’alcool sur le cerveau partie 2 si cela t’intéresse.
Donc tu es plus impulsif, ton cerveau est trop limité pour tenir compte du contexte et des conséquences néfastes. Au lieu du « circuit long » de l’analyse rationnelle, le cerveau fonctionne désormais en « circuit court » rapide et peu flexible, de décision automatique.
Une modification de ton cerveau
La somme de ces 4 phénomènes est ce qui rend l’addiction si difficile à arrêter. Là on voit bien qu’on peut avoir toute la volonté du monde, parfois ça ne suffit pas. Tu es en pilote automatique. Tu as une totale absence de contrôle !
Tout ça c’est très concret, ça s’observe si on te fait faire une IRM. A force de consommer, tes structures cérébrales et tes chemins neuronaux c’est-à-dire tes connexions entre ces structures se modifient. On peut parler d’une « mémoire pathologique » l’alcool laisse des traces cérébrales qui font que la personne peut rechuter même après une longue période d’abstinence lors d’une re-consommation, même faible d’alcool ou l’exposition à un indice contextuel qui avait été associé à des prises régulières d’alcool.
C’est pour ça qu’il vaut mieux arrêter totalement l’alcool, être abstinent, que d’essayer de se modérer. Essayer de se modérer ne marche pas, c’est un peu une perte de temps Ça ne fait qu’entretenir ces chemins neuronaux. A chaque fois que tu bois tu renforces ce chemin.
Je t’ai écrit un article sur le sujet : Arrêter l’alcool ou diminuer ? Dans cette vidéo je te parle de ton conscient et de ton subconscient. C’est tout simplement ton cortex préfrontal connecté et ton cortex préfrontal déconnecté. Je voulais bien te préciser ça.
Quel est le rapport avec les soirées ?
J'espère que tu l'as compris, une des plus grosses situations que tu as associée à force de répétition est soirée = boire de l’alcool. Tu t'es habitué à boire dans certains lieux, quand tu es entouré de certaines personnes, à certaines heures, quand tu ressens certaines émotions.
Et même si tu changes d’environnement et d’entourage, l’alcool qui est un indice contextuel isolé y est la plupart du temps présent.
C'est typiquement le moment où tu vas ressentir un craving. C'est automatique et quasiment incontrôlable dans ces contextes-là tu bois même si tu n’en as pas envie. Tu adoptes un comportement réactif, tu réagis sans prendre pleinement conscience de ce qui arrive et sans penser aux conséquences qui suivront.
C'est donc un moment de tentation très difficile à passer. Si tu lis cet article tu dois déjà le savoir. Maintenant tu sais pourquoi en soirée tu as tendance à rechuter.
Alors c’est peu réjouissant tout ça je sais, mais ne t’inquiète pas j’ai des solutions pour toi. J’ai quelques conseils et astuces pour ne pas boire. On verra ça dans les prochains articles. Le prochain article portera sur la question : est-ce qu’il n’est pas trop tôt pour aller en soirée ?